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Mourier-Casile, Pascaline

La Fente d'eau

Dans une maison vide près d’un grand fleuve en crue, une jeune femme, enceinte, attend l’homme qu’elle aime et qui l’aime. Elle confie au magnétophone une sorte de confession hallucinée, afin d’essayer de lutter contre l’angoissante sensation qu’elle subit d’être envahie par un corps étranger - l’enfant à venir - qui porte atteinte à sa plénitude et la prive de liberté, en particulier sensuelle, qui faisait naguère ses délices. 174 p. 18 euros. (2011)

Pascaline Mourier-Casile, née en Indochine, passe son enfance et son adolescence en Guyane. Universitaire, elle articule son activité d’enseignante, de chercheuse et de critique autour de la littérature française des XIXe et XXe siècles, en particulier au surréalisme, aux rapports entre écriture et peinture. Elle produit elle-même des images peintes. 

Extrait

I

Un crabe m’habite. Il fait son nid dans le sable de mon ventre. Un ver qui s’installe et se prélasse et s’enroule et m’emplit peu à peu.

Tout entière.

Je deviens coquille. Réceptacle. Cette gelée en moi qui gonfle, mûrit et se façonne me chasse de moi-même.

Depuis des jours.

Immobile. Je guette les moindres signes. Mon ventre respire. Il me semble qu’il bondit comme les collines du Cantique. En moi le bourgeon se gonfle, déplie ses feuilles et ses doigts. Se lustre. Vagues larves. Pensées embryonnaires, qui jamais ne viendront au jour. Avortées. Je m’engourdis comme une anguille ivre.

Au début, la peur.

Tu restais calme, comme un qui voit, toute proche, l’issue. Moi, heurtée à tous les murs. Si peu de choses. Je parlais de clinique blanche, avec des fleurs sur la table et de beaux fruits lisses dans une vasque de bois.

Clichés.

Ces choses-là sont courantes. Que crains-tu ? Au téléphone une dame prit rendez-vous. Voix apaisante comme un verre d’eau fraîche. Bonbon acidulé quand on a la fièvre, la nuit. Moi, la bouche feutrée par le goût des larmes. Charmante voix. Jolie femme ? Je l’imaginais discrète, efficace, avec de belles mains et une de ces bagues de turquoise brute que portent les grandes femmes blondes à la peau brunie.

Je me rétracte. Me hérisse. Je ne veux pas qu’on me touche.

Je croyais la chose toute simple, cependant. Je suis libre. Je ne vais pas me laisser envahir de parasites. Notre amour souffrait de se voir garrotté. Pris au piège. Nous nous étions depuis cinq ans voulus libres, unis seulement par ce choix délibéré que nous avions fait l’un de l’autre. Rien ne devait nous lier que cela. Notre amour ne se justifiait que dans sa gratuité.

Nous.

Coquille close, double valve accolée, opposant au monde une face lisse où rien ne devait accrocher.

Le vieux rêve, une fois brisé déjà : gémeaux. (André et moi. Là-bas, dans la ville morte. Le petit prince blond et son reflet, main dans la main, le long des eaux boueuses du vieux fleuve. Autrefois.

Avant, bien avant cette dernière nuit où le miroir terni a volé en éclats. Et tout ce sang, à jamais, entre lui et moi...)