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Nadeau, Maurice

Gustave Flaubert, écrivain

Troisième édition d'un essai qui reçut lors de sa parution en 1969, le Grand prix de la critique littéraire. Il a fait l'objet de nombreuses traductions. 

Pour cette nouvelle édition, Maurice Nadeau a tenu compte des travaux critiques qui, ces dernières années, ont été suscités par la sortie du purgatoire d'un de nos plus grands romanciers. Ils confirment la place que la critique fait à Flaubert, non seulement en tant qu'initiateur du roman moderne, mais comme "écrivain exemplaire". 282 p. (1969)

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Extrait

Avertissement

Depuis la première édition de cet ouvrage, pas mal d’eau a coulé sous les ponts. Le goût des anniversaires fait de cette année 1980 « l’année Flaubert » où se succèdent manifestations officielles et privées, colloques universitaires, expositions (dont l’une est inaugurée par le Président de la République), bref : Flaubert est devenu une de nos « gloires nationales ». On s’en réjouit, tout en imaginant le cas qu’il aurait fait de ces festivités. Une oreille attentive pourrait même entendre dans la coulisse le rire « saccadé et strident, modulé sur une seule note », du Garçon, ce personnage créé sur les bancs du collège royal de Rouen et qui ne manquerait pas de saluer par cette tonitruante manifestation les honneurs qu’on rend aujourd’hui à celui qui fut si souvent son alter ego.

Depuis qu’a paru pour la première fois cet ouvrage, se sont également succédé les études critiques : sur l’auteur, sur chacun de ses ouvrages. Ses brouillons, notes, scénarios, lettres ont été examinés à la loupe. Les éditions critiques de Madame Bovary, de l’Education, de Bouvard et Pécuchet, la publication enfin complète et non caviardée de la Correspondance (livrée avec une désespérante lenteur) figurent autant d’exemples d’intelligente érudition. On garde enfin en mémoire le monumental portrait qu’a tracé Jean-Paul Sartre du jeune Gustave, quelque réserve qu’on puisse formuler sur le bien-fondé d’une thèse qui le transforme en peu sympathique personnage de fiction.

Pourtant, il ne m’a pas semblé qu’après onze ans, l’ouvrage que je republie nécessitait, sinon, bien sûr, des corrections, du moins une refonte. La « certaine idée » que je me suis faite de Flaubert, de son labeur, de ses conceptions sur la vie, l'art, le roman, et davantage : des produits de ce labeur, des prolongements que l’œuvre s’est frayés dans notre « modernité » m’a paru au contraire confirmée par les recherches et analyses récentes. Ce Gustave Flaubert, écrivain, écrit dans un compagnonnage critique avec un de nos plus grands auteurs devrait rendre quelque service à ceux, les plus jeunes, qui aborderont Flaubert pour ta première fois comme à ceux qui ne veulent pas se contenter d’admirer ses œuvres.

J’ai écrit cet ouvrage au moment où régnait une terreur critique engendrée par certaines sciences ou disciplines depuis passées de mode et où il était mal porté de s’intéresser à un auteur en tant qu’auteur de ses œuvres, où étaient bannis du vocabulaire des termes comme « œuvre » ou « création », où le « texte » régnait dans sa gloire, sans attaches avec ce qu’on appelle les genres littéraires, voire la « littérature » (terme également honni). D’où les précautions que je prends dans la préface à l’édition de 1969, préface que je redonne, ma foi, telle quelle, en tant que témoignage d’époque.

Non que je nie l’importance des recherches et travaux d’alors : ils nous ont donné une compréhension plus fine et plus approchée de ce phénomène mystérieux qu’est l’écriture. Il ne m’a cependant jamais paru tout à fait juste, ne serait-ce que par l’exemple même de Flaubert, qu’un langage traité littérairement naissait sous la plume d’un écrivain à l’insu de celui-ci. Si le langage a créé Flaubert (ce que j’essaie d’ailleurs de montrer), il lui fallait la collaboration active d’un homme qui a sacrifié son temps et sa vie pour le faire parvenir à l’existence littéraire. Et c’est précisément dans cette collaboration active, poussée à ses ultimes conséquences, que gît la grandeur de mon modèle. Au risque de l’imaginer revenant parmi nous au son des flonflons de sa gloire officielle, et couchant dans son Dictionnaire des Idées reçues à l’article « Flaubert » : « Ecrivain exemplaire ».