Panier: 0

Gobineau, Arthur de

Au royaume des Hellènes

Deux études sur la Grèce Moderne précédées de Les aventures athéniennes du comte de Gobineau par Sophie Basch. Ces deux études sur la Grèce moderne n'ont pas fait l'objet d'une publication depuis 1905. En 1878, libéré de ses fonctions, Gobineau est libre de s'exprimer. Il le fait à sa manière, en analyste averti, sans pathos, dans une prose éclatante. 312 p. (1993)

Extrait

L'opinion publique est, de sa nature, chose ductile et extrêmement variable. Dans ces dernières années surtout, elle abonde en rapides évolutions. L'habitude qui se prend de consulter les majorités, comme on consulte la Sagesse, a développé chez l'arbitre une mobilité inquiète voisine du vertige. Ce qui en résultera, on le verra trop tôt peut-être, mais tout en passant, courant, commettant mille méprises, pour s'emparer de mille erreurs et tomber dans mille désastres, il est juste de dire qu'il arrive pourtant çà et là à l'opinion publique de mettre la main sur une vérité, et, depuis quelques mois, c'est ce qu'elle semble faire en ce qui concerne la Grèce, les Grecs, leur établissement, leur valeur intrinsèque, leur avenir et, en conséquence, elle en revient à se demander s'il faut ou non reporter là quelque intérêt. La France est encore à hésiter ; l'Angleterre est plus avancée ; elle y regarde, elle s'en occupe sérieusement ; elle interroge les faits existants ; elle fait effort pour se débarrasser du poids et des voiles que de longues préventions avaient accumulés.

Ce n'est pas assurément dans le but purement académique de rendre justice à un petit peuple, maltraité depuis de longues années, il faut en convenir ; c'est que les choses ont tourné de telle façon, que l'Europe occidentale pourrait avoir à gagner si elle rendait cette justice. Peut-être bien lui importe-t-il au premier degré de se faire une alliée solidaire des mêmes conditions d'existence qu'elle-même, sur la limite extrême de cet Orient où il se passe et se prépare surtout tant de nouveautés. Elle comprend l'opportunité de rechercher si, en face de cet empire turc qui manifestement s'écroule et passe aux mains d'un autre empire, immense déjà, au moment où se forme, dans une configuration nouvelle, une puissance comparable à tout ce que l'histoire du globe aura connu de plus grand, il n'est pas à propos pour elle de se couvrir autant qu'elle le peut faire ; elle se demande enfin si la Grèce n'est pas propre à lui devenir une frontière. Tels sont les motifs qui ont amené de bons esprits à soupçonner qu'on avait des torts à réparer vis-à-vis de la Grèce et que l'on devait regretter l'abandon malveillant dans lequel on a tenu ce pays, surtout depuis les affaires de l'île de Crète. Cet abandon a été, en effet, profond. La faute commise alors a été punie au-delà de la malveillance. On s'est abandonné à une mauvaise humeur méprisante, qui n'était pas plus raisonnable qu'équitable de la part de la politique européenne, dans un temps comme celui-ci où, suivant l'expression de M. de Beust, il n'y a plus d'Europe, mais seulement une réunion de velléités essentiellement sujettes aux crispations de nerfs et aux écarts de conduite exécutés sous cette influence.

Néanmoins, quand on s'est trompé, surtout à son détriment, le mieux c'est de revenir et de changer d'avis. Il faut donc, sans hésiter, féliciter l'intelligence britannique, dans son désarroi actuel, d'apercevoir et de poursuivre enfin le rayon de jour qui lui apparaît et, en même temps, faire des vœux pour que la France se rende compte de l'utilité d'imiter un tel exemple. Il y aura profit pour tout le monde, pour l'Angleterre, pour la France, pour la Grèce, pour la Russie tout autant que pour l'Occident, et c'est dans cette conviction que je vais présenter des faits sur lesquels il m'est arrivé jadis, mais sans succès, d'appeler l'attention des intéressés. Cette fois-ci, le moment, il faut le souhaiter, sera plus favorable et la gravité de la situation donnera de la gravité aux esprits qui ont grand besoin d'en avoir. L'année dernière, revenant d'Orient, j'eus occasion d'entretenir entre Corfou et Brindisi un homme digne de considération à tous égards qui, après avoir disputé longtemps pour maintenir qu'on ne devait rien attendre des Grecs ni pour eux-mêmes, ni pour les autres, finit cependant par se laisser toucher et avoua que l'opinion à laquelle il s'attachait pouvait bien, quoique générale, n'en être pas plus juste. Il reproduisait avec conviction un certain nombre de griefs, mais il convint aussi que le bien-fondé des reproches et surtout la source d'où le mal avait pu provenir ne lui étaient pas très connus. Je tâchai de le mettre en face de véritables réalités, et, un peu surpris d'apprendre ce qu'il n'avait jamais soupçonné jusque-là, il consentit à envisager et à peser certains faits d'une authenticité incontestable ; il en tira les conséquences avec bonne foi, et j'eus le plaisir de le croire alors assez ébranlé dans ses convictions négatives, pour qu'en ce moment le revirement qui s'opère dans les idées et la conduite pratique de son pays me donnent les meilleures espérances de voir la vérité et le sens de l'utile remporter un triomphe définitif sur l'erreur et la vanité du bavardage.

Retour

€ 24.00

Arthur de Gobineau. Au Royaume des Hellènes. Deux études sur la Grèce moderne précédées de Les aventures athéniennes du comte de Gobineau par Sophie Basch

 Gobineau a été, sous Napoléon III, ministre de France en Grèce durant quatre ans: du 17 novembre 1864 au 10 septembre 1868.

 Bien longtemps avant de s'y rendre, en 1841 (il avait vingt?quatre ans), il publiait une étude sur Capodistrias, premier gouverneur de la Grèce indépendante. En 1878, dix ans après son rappel d'Athènes, il publie "Le Royaume des Hellènes", analyse magistrale d'une situation singulière pour un pays qui avait suscité en Europe l'engouement en raison de sa lutte contre les Turcs (on se souvient de Byron, de Hugo et de son "Enfant grec") et qui se trouve en butte aux rivalités des grandes puissances: Angleterre, Autriche?Hongrie, France, Italie, Russie et Prusse qui règlent provisoirement leurs comptes en cette même année 1878 au Congrès de Berlin.

Aristocrate, et tenu par sa fonction, Gobineau s'est rendu coupable de maladresses diplomatiques, il a finalement été rappelé par son gouvernement et envoyé au Brésil.

En 1878, libéré de ses fonctions, il est libre de s'exprimer. Il le fait à sa manière, en analyste averti, sans pathos, dans une prose éclatante.

En couverture La mort de Lambros Tzavellas, artiste inconnu, Musée d'Athènes.