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Darol, Guy

Guerrier sans poudre

Dans le Paris des années 1970, Axel se souvient des promesses de Mai 68 et notamment de ce slogan : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Suivant des phares tels Artaud, Burroughs, Duprey, Guyotat, il est convaincu de faire triompher une révolution où la littérature tiendrait lieu de barricade. La rencontre d’Échidna, une étudiante à la fac de Vincennes, transforme ce combat en une autre bataille, celle que l’on gagne en consentant à l’amour, soit à la liberté suprême. Roman d’initiation, Guerrier sans poudre jette un regard rétrospectif sur le temps de la subversion où les mots que l’on s’échangeait étaient des étincelles susceptibles d’incendier le vieux monde. 244 pages / 15 euros (2014)

Guy Darol est l’auteur de deux romans (Le Couloir et Les Pierres ont le souvenir têtu), d’un récit (Héros de papier) et de plusieurs essais consacrés à Joseph Delteil, André Hardellet et Frank Zappa.

Extrait

Il me fallait la rue et l’action que promettent les livres. Les années se suivaient et je comptais les mois. Le soir surtout, après avoir beaucoup lu, je regardais les cloques du plafond en imaginant l’instant de l’adieu. La porte qui claque et le tintement des vitres.

L’enfance n’était plus aussi douce depuis que j’avais découvert mon étrange vocation. Un passe-temps d’abord. Une manière d’abolir les murs. J’avais trouvé dans l’écriture un moyen d’évasion. Les mots, je les maniais comme on tient une pioche mais il fallait ruser. Je devais effacer les traces de gravats et faire disparaître la poussière car on me surveillait. Mes parents m’apprenaient à courber l’échine. Chaque jour, ils m’enseignaient leurs leçons de savoir-vivre. En apparence, je ne les décevais pas. Mais dès qu’ils me tournaient le dos, je m’appliquais à faire la guerre. Ils me voyaient naïf et sage, ma tête était remplie de soufre. À leur insu, je m’armais de haches et de bombes. J’avais le goût de la démolition.

Derrière mon bureau, je feignais d’étudier. Je faisais croire à des exercices d’entraînement pour maîtriser les différentes inflexions que prend le verbe, les modes du verbe, les voix du verbe ou l’accord du participe passé. Mais ce n’était que simulation car l’écriture, du moins celle que j’envisageais, se soustrayait aux règles de l’expression, aux recommandations des manuels, à la doctrine de correction et de pureté.

La poignée remuait, des pas glissaient sur le parquet, je mâchonnais mon stylo au-dessus du cahier ouvert. J’avais caché dans le sous-main les feuilles compromettantes, un texte qui se jouait de tous les principes. Mon père ignorait qu’en me remettant chaque semaine le lot des volumes cochés sur des catalogues d’éditeurs, il me fournissait les outils dont j’avais besoin pour préparer ma désertion et le combat impitoyable contre la tyrannie. 

Il ne savait pas que les libraires entreposent des poudres. Il voyait le livre comme un billet d’entrée dans la vie rampante. Se doutait-il qu’un assemblage de phrases pouvait servir à des tactiques et à des soulèvements ? Je connaissais par ses soins des ouvrages utiles à la guerre des rues qui sont de véritables modes d’emploi pour élever une barricade. N’ayant rien lu que Le Tour de la France par deux enfants, il lui passait au-dessus de la tête que certains livres sont des catapultes vouées à détruire l’ordre bourgeois.

L’Ombilic des Limbes d’Antonin Artaud, dans son édition de poche datant de 1971, fut mon premier fulmicoton. Longtemps, je lui prêtais le pouvoir du vertige. Il resta plusieurs mois sur ma table de chevet et je m’empêchais de l’ouvrir. Je croyais que la collision serait telle que ma vie en serait chavirée. Pour toujours. Il n’y aurait aucun remède. Je serais un homme de travers. 

Il y eut un numéro spécial du Magazine Littéraire et les articles de Jean-Louis Brau et de Claude Pélieu me forcèrent à empoigner l’ouvrage présenté par Alain Jouffroy. Dès la première lecture, je frappais du pied les formules qui faisaient feu, enjambant ma chambre comme un tambour de peloton et l’on aurait cru qu’un couteau grinçait en épanchant le sang. Plus tard, je découvris que ce martèlement était une discipline adoptée par Artaud. Je fus souvent sommé de me calmer. 

— Axel, ça suffit !

Je m’appelle Axel, un prénom commémoratif, celui que portait mon grand-père Halgouët, brûlé vif dans sa maison de La Malfourée, un refuge pour les FFI incendié par les Allemands le 8 juillet 1944.

Axel comme une oriflamme calcinée. 

 

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Pour accéder au site de Guy Darol :

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