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Breitman, Dora

Demain, j'ai rendez-vous avec Bob Dylan

La narratrice observe avec tendresse et humour un petit monde qui évolue dans le quartier juif du Marais à Paris. La figure du chanteur Bob Dylan l’accompagne dans sa quête d’elle même. Cette comédie noue des histoires d’amitiés, de rencontres et aussi d’intrigues et de rivalités qui surviennent autour d’un restaurant associatif, le Pitchi. 219 p. 20 euros (2012)

Après une enfance passée à Orléans, Dora Breitman a vécu à Paris sur les hauteurs de Belleville. Partie Outre-mer dans les années 2000, elle a résidé à Tahiti, puis en Martinique avant de revenir à Strasbourg où elle est institutrice. Cet ouvrage est son premier roman.

Extrait

Chapitre 1

Le rencontrer

Bob Dylan, je dois absolument lui parler.

Aujourd’hui, je le rencontre. C’est aussi simple que cela.

Les Restos du Cœur ont organisé une tombola à échelle nationale ; les lots sont variés : une croisière avec les vedettes françaises des sixties, des jeans portés par Johnny, des blousons de Sardou... Ce qui m’intéresse dans tout ce bazar : LE rencontrer.

Depuis plusieurs années, les organisateurs constatent une diminution des dons et une affluence de demandes d’aide dans tous les centres. Cette année, ils ont décidé, pour récupérer des fonds, de frapper un grand coup : de mettre en place une campagne qui se terminera samedi soir, par un concert géant, place de la Bastille. Toute la semaine, sous un grand chapiteau, devant la mairie de Pantin, une vingtaine d’artistes se succèdent et dédicacent livres ou disques. Et ce mercredi, c’est Dylan en personne qui vient dédicacer ses Chroniques.

Environ cinquante heureux auront la chance de le rencontrer et j’en fais partie. C’est mon amie Lilli qui m’a obtenu le carton d’invitation, remis en échange du billet gagnant. Je n’ai toujours pas bien saisi comment elle s’y est prise. En tout cas, je suis là.

Le chapiteau est immense et une centaine de personnes sont présentes. Tous les coupons ont été numérotés, j’ai le carton numéro 29 ; vingt groupes sont passés. Tout est minutieusement organisé par l’équipe des bénévoles, reconnaissables à leur tee-shirt « Les Enfoirés ». Il paraît que même Dylan en porte un...

D’où je suis assise, il n’est pas encore visible. En fait, dans un coin du chapiteau, des paravents ont été aménagés. C’est là qu’il reçoit ses admirateurs. Une équipe de journalistes et de cameramen l’entourent : l’événement est très médiatisé.

On tend un micro à trois jeunes gens radieux : « C’était géant ! Ça se fait trop pas d’être aussi top ! Il est super-cool ! » Comme eux, je suis tombée en dylanmania lorsque, il y a trois ans, à la radio, un animateur a passé une chanson de Dylan, le 24 mai, en l’honneur de son anniversaire. C’était aussi le jour du mien... Hasard ? Coïncidence ? Je l’ai pris comme un cadeau. J’ai commencé à écouter ses disques, à lire ses biographies.

Néanmoins, je ne me considère pas comme une vraie fan. Je n’ai rien de l’aficionado qui collectionne tous les enregistrements, connaît par cœur les programmes de chacun de ses concerts, rassemble les tickets usagés... Je n’éprouve pour lui nulle fascination... Ni gourou, ni idole, ni demi-dieu... Il n’a rien de distant ni de mystérieux pour moi. Il m’est au contraire on ne peut plus familier : je le connais si bien. Mais mon chemin doit croiser le sien : il faut que je le rencontre d’une manière ou d’une autre. Rien ne sera plus pareil pour moi. Je le sais. C’est mon intuition.

Les rares copines auxquelles j’en ai parlé m’ont prise pour une cinglée et j’ai décidé que ce serait secret. Mais pour ma Lilli, pas de secret ; elle a tout fait pour que je puisse aller à sa rencontre, même si cette passion la dépasse. Elle me trouve de toute façon un brin toc toc.

Le numéro 25 va passer. On me fait signe de me lever et on m’escorte jusque devant les paravents. Dylan est à quelques mètres, je l’aperçois enfin. Il ne porte finalement pas le tee-shirt des Enfoirés mais pantalon et chemise noire. Il réconforte, en lui tapotant l’épaule, un fan ému qui fond en larmes dans ses bras. Un costaud « Enfoiré » vient vite mettre un terme à cette interminable accolade.

Place aux suivants. Il n’y a plus que trois personnes avant moi.

Dans un instant c’est mon tour... Je panique un peu, car moi, je n’ai rien à lui dire. Je ne pensais pas que cela durait aussi longtemps, qu’il écouterait aussi intensément. En fait, c’est étrange, je ne suis pas venue pour lui parler, mais juste pour le regarder. Je n’ai pas besoin qu’il sache que j’existe, sa seule présence me suffit.

Soudain, cinq gardes du corps arrivent de je ne sais où, deux le saisissent, les trois autres escortent fermement vers la sortie les adolescents avec lesquels il s’entretenait. Dylan a juste le temps de glisser dans la poche de sa veste un CD qu’on lui a confié, et les suit.

Un haut-parleur annonce qu’il y a une alerte à la bombe. Par mesure de précaution, la salle doit être évacuée.

Cette rencontre sera-t-elle pour aujourd’hui ?

Chapitre 2

Le Pitchipoy

Une vingtaine d’admirateurs déçus poireautent dans la rue. On se demande quand la séance de signature reprendra. On patiente gentiment, le coupon numéroté à la main.

Au bout d’un moment un Enfoiré en Chef éclaire la situation ; il explique que les services de sécurité ont besoin d’environ deux heures pour faire les vérifications d’usage après une alerte, que malheureusement Dylan n’a pas pu rester car il a un concert en Espagne le soir même et que son emploi du temps est très chargé. Il ne reviendra pas en France avant le concert de samedi. Par contre, il a proposé d’envoyer à ceux qui le voudraient un exemplaire de ses Chroniques dédicacé à leur nom. Il n’y a qu’à s’inscrire et le bureau de New York fait parvenir un exemplaire à chacun.

Un autographe, non merci ! Je pars et décide de marcher jusqu’à la porte de Pantin, d’où je pourrai attraper le bus qui me conduira au Marais, rue de Turenne, tout près de chez moi.

L’air est doux. Nous sommes en septembre, c’est l’été indien. Il n’y a pas de circulation. J’arrive rapidement à destination. Au 7, rue des Ecouffes, il y a un petit resto, le Pitchipoy ; j’habite au-dessus. Avant de rentrer chez moi, j’aime bien y faire un détour.

Il y a une dizaine d’années, tout l’immeuble était vide, désaffecté. Pendant un dîner avec des amis chez Maud, nous avons refait le monde; il en est résulté une association œuvrant à la réinsertion de sans-papiers en situation irrégulière. Maud, propriétaire du lieu, a été heureuse de le mettre à disposition, pour réaliser ce projet; sa famille s’y était cachée pendant la guerre, elle ne pouvait se résoudre à le vendre.

Après un an de discussions, de démarches, le restaurant Pitchipoy a ouvert ses portes. Plus tard, d’autres bénévoles se sont associés jusqu’à en faire une véritable entreprise. Il y a un peu moins de trois ans, alors que je recherchais à me loger (je venais de me séparer de mon mari), Maud m’a proposé d’habiter l’un des appartements vides qui se trouvait au-dessus.

Le Pitchi se compose d’une grande salle toute en longueur. Au premier regard, un mobilier ancien et dépareillé. Au fond, c’est plutôt la partie salon : des ensembles de deux trois fauteuils (certains ont déjà beaucoup vécu) autour d’une table basse. A l’avant, de vieilles tables de bistrot, des pupitres d’écolier des années trente, des chaises en cuir ou en paille. Cet ensemble hétéroclite, ces banquettes en cuir râpé, ces tables en bois rafistolées, aussi étrange que cela puisse paraître, sont une invitation à se poser, s’arrêter, arrêter le temps, rêver, se parler, se connaître. Tout un art de vivre disparu des bistrots à la parisienne.

Dragana et Fadila, les deux serveuses, préparent la fermeture. Elles desservent le buffet, enlèvent les dernières tartes salées, et toute la pâtisserie de l’Est, spécialité de ce lieu. Je leur adresse un petit signe de tête en passant, elles me répondent sans cesser leur travail. Je me dirige vers le fond, où se trouvent plusieurs écrans d’ordinateurs.

J’écris rapidement à Lilli : « Dédicace interrompue par une alerte à la bombe. J’étais près de lui, cela me suffit. Je suis contente et te remercie. A demain. »

Je reçois deux imailes.

Maud m’écrit qu’elle est impatiente de savoir ce qui s’est passé pour la dédicace. Je lui répondrai plus tard.

Et puis, un nouveau message du comité d’entreprise de Lilli. Chaque année, ils choisissent un thème. L’année dernière c’était la Bretagne, cette année, c’est Bob Dylan. Encore lui ! La famille et les amis des employés de cette Mutuelle peuvent s’associer à ce projet. Dès septembre, Lilli m’a prévenue et je me suis inscrite. La proposition de sketch que j’ai faite pour le spectacle de fin d’année a été acceptée. Tout doit être prêt pour le 31 décembre.

Lilli me répond instantanément : « Pour ton rencard avec Dylan, n’en parlons plus. Mais je ne renonce pas. A dimanche soir, au Pitchi ! »

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