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Noguez, Dominique

Montaigne au bordel et autres surprises

Première surprise : on a retrouvé le manuscrit d’un quatrième livre des Essais ; on ressort l’image inattendue d’un Montaigne mi-paillard, mi-dostoïevskien. Deuxième surprise : « mythologies » inédites de Roland Barthes. Troisième surprise : auteur des Deux sources de la Morale et de la religion, Bergson se serait également intéressé aux deux sources de l’érotisme... Faut-il prêter foi à ces révélations ? Ni plus ni moins qu’à celles qui concernent dans ce livre la rentrée littéraire 2016, ou les élections présidentielles de 2027 ou la manière dont sont attribués les prix littéraires. 145 p. 20 euros (2010)

Extrait

MONTAIGNE AU BORDEL

Chacun a encore présent à l’esprit l’extraordinaire concours de circonstances qui a mis le 2 avril 2005 entre nos mains le texte manuscrit quoique inachevé du quatrième livre des Essais de Montaigne. C’est par émulation amoureuse que le jeune Matthias Delaure, douze ans et demi, fils du Receveur principal des impôts de Mauriac (Cantal), s’est retrouvé un après-midi dans les soupentes d’une des deux tours carrées de la Basilique Notre-Dame-des-Miracles (la bien nommée !) à farfouiller dans un coffre vermoulu. Il recherchait, a-t-il expliqué ensuite, quelque chose qui pourrait ressembler à un vieux grimoire. Pour les besoins d’un débat sur « Internet et le livre », son professeur l’avait chargé de plaider la cause de la Toile contre le jeune Kevin Vilmorin, apparenté aux célèbres grainetiers, préposé à la défense du livre. Ayant appris que Vilmorin, pour impressionner la jeune Karima, fille aînée du gérant de l’Hôtel des Deux Gares, dont il était également épris, produirait à l’appui de sa cause plusieurs volumes des œuvres de Jules Verne dans la superbe collection Hetzel, le jeune Delaure avait décidé de contre-attaquer en brandissant le jour venu, pour dégoûter de l’écrit traditionnel, « les plus horribles vieilles paperasses » qu’il pourrait trouver. Et c’est ainsi qu’avec la complicité du sacristain de Notre-Dame-des-Miracles il a mis la main sur un paquet de papiers jaunis entourés d’une faveur noire.

Passons sur les détails, y compris celui, dont la presse s’est repue, de la mise à la poubelle par l’adolescent, une fois choisi un feuillet particulièrement raturé, du reste du paquet ; et du miraculeux sauvetage du manuscrit par un brocanteur fouilleur de poubelles moins de deux minutes avant l’arrivée de la benne à ordures. Ne retenons que la question du lieu : pourquoi Mauriac, pourquoi dans une Basilique ? À la vérité, ce lieu improbable est la seule chose qui ait fait douter un moment de l’authenticité du document. Car, pour le reste, l’écriture était bien celle de Montaigne, le style tout à fait celui des Essais et le propos, quoique inattendu à plus d’un titre, conforme en tout cas à la démarche mi-autobiographique mi-moraliste de Michel Eyquem. Après tout, comme l’a plaisamment écrit Le Canard enchaîné, « on ne doit pas être plus étonné de trouver un manuscrit de Montaigne à Mauriac qu’on le serait d’en trouver un de Mauriac (François) à Montaigne (le château) ».

Louisette Parpaloud-Lachaise, maître de conférences à l’université de Bordeaux-III, a, entretemps, sinon éclairci le mystère, du moins rappelé des faits qui rendent la découverte compréhensible. Les bons connaisseurs de la biographie montanienne se sont souvent demandé pourquoi, de retour d’Italie, alors que la nouvelle de son élection à la mairie de Bordeaux l’oblige à rentrer en toute hâte, il ne galope pas directement le 29 novembre 1581 de Périgueux à Montaigne, mais fait halte à Mauriac, qui n’est pas exactement sur sa route. « Encore que nous manquions pour l’heure d’informations sérieuses sur les relations que l’auteur des Essais pouvait entretenir avec tel ou tel membre du chapitre de la Basilique, écrit Louisette Parpaloud-Lachaise, il n’est pas impossible que sa maladie de la pierre l’ait souvent conduit en cette ville du Cantal connue dès la période gauloise pour ses sources et qu’il ait eu là un ami cultivé auquel il aurait eu coutume de faire lire certains de ses écrits. » Quoi qu’il en soit, L'invention consiste, rappelons-le, en cinq liasses d’une vingtaine de feuillets chacune, dont les trois premières forment une continuité. Ce sont les plus étonnantes. Car, tout en se rattachant aux Essais, auxquels elles se réfèrent en plus d’un endroit, elles introduisent avec ce que nous connaissions de l’œuvre une importante différence : si elles sont divisées, comme les trois premiers livres, en chapitres traitant apparemment de sujets variés, nourris de citations d’auteurs latins, grecs ou italiens, les anecdotes autobiographiques dont elles sont truffées se réfèrent presque toutes à une même période de la vie de l’auteur, jusqu’ici peu connue (peut-être de son fait, d’ailleurs), comme si, après avoir tout fait pour l’entourer d’obscurité, il désirait à présent la mettre en pleine lumière afin de soulager sa conscience et être en conformité avec l'ardent souci de vérité qui préside à son entreprise.

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