Cahiers de la Kolyma et autres poèmes
Varlam Chalamov (1907-1982) est connu du public français par Les récits de la Kolyma publiés pour la première fois par Les Lettres Nouvelles en 1969. Cahiers de la Kolyma et autres poèmes réunit, en plus d’un essai autobiographique, Fragments de mes vies, écrit en 1964, des poèmes écrits dans les camps soviétiques, ainsi qu’un choix de poèmes du retour. Une Notice sur Chalamov de son traducteur, Christian Mouze, complète ce recueil. Si la vie de Chalamov est un condensé du martyre russe sous Staline, sa poésie est pleine de mesure, de réflexion, d’interrogations. Jusque dans le plus terrible, le poème demeure le corps simple de quelque chose lié à la vie. Et lié à l’histoire de la Russie : Chalamov place sa lutte sous le signe des grandes révoltes du XVIIe (la Vieille Foi) et XVIIIe siècles. L’accusation qu’il porte est d’autant plus forte. ISBN 9782862312514. Octobre 2016, 152 p. 17 euros.
Varlam Chalamov a connu de 1929 à 1956, presque sans interruption, la prison, les camps, l’exil. Il est mort en 1982, aveugle et sourd, dans un hôpital psychiatrique de Moscou.
Extrait
De 1937 à 1956, je vécus dans les camps et en exil. Les conditions du grand Nord excluent la possibilité d’écrire et de conserver des récits et des poèmes – à supposer qu’on veuille le faire. Quatre ans durant je n’ai eu ni livres ni journaux. Ensuite il s’est trouvé que de temps en temps on pouvait écrire et garder des poèmes. Beaucoup de ce qui fut écrit – une centaine de poèmes – a disparu à jamais. Quelque chose cependant a été sauvegardé. En 1949, travaillant comme aide-médecin dans un camp, je me trouvai en « mission forestière » et pendant tout mon temps libre j’écrivais : sur les revers et les pages de garde de pharmacopées, sur des feuilles de papier d’emballage, sur des sachets.
En 1951, je n’étais plus détenu mais je ne pus quitter la zone de la Kolyma. Je travaillai comme aide-médecin près de Oïmiakon en amont de l’Indighirka ; il faisait très froid et j’écrivais jour et nuit dans des cahiers de fortune.
En 1953, je quittai la Kolyma et m’établis dans la région de Kalinine près d’une entreprise de tourbe. J’y travaillai deux ans et demi comme agent d’approvisionnement technique. Les exploitations de tourbe avec leurs saisonniers, les tourbiers, étaient des endroits où le paysan devenait ouvrier. Ce n’était pas sans intérêt mais je n’avais pas le temps. J’avais quarante-cinq ans, je cherchais à devancer le temps et j’écrivais jour et nuit – vers et récits. Je craignais chaque jour que mes forces ne m’abandonnent et de ne plus écrire une ligne et de ne pouvoir plus écrire tout ce que je voulais.
Varlam Chalamov
Au poète
(fragment)
Pour Boris Pasternak