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Bensoussan, Albert

Le Vertige des étreintes

Le Vertige des étreintes, d’Albert Bensoussan débute avec l’évocation de l’Algérie de son adolescence, l’éveil des sens partagé entre la tradition juive de sa famille, les séductions chrétiennes et la culture arabe de ses premières amours. De femme en femme, d’Algérie en Espagne puis en France ou ailleurs, d’odalisques en geishas, dans une atmosphère de fantasmes et de rêveries où l’humour le dispute à l’ironie, l’auteur reconstruit l’identité de son passé d’homme, son parcours cosmopolite, scandé par la rencontre puis l’absence jusqu’à la future disparition des êtres aimés. Le décor est, pour l’essentiel Alger, la cité matricielle, dont le récit exalte les splendeurs, épouse les soubresauts. Pour affirmer, au temps de l’arrachement et de la dépossession, la nécessaire transmission, le mirage d’un engendrement. L’adieu aux miracles anciens, fût-ce au prix du vertige, s’accompagne d’heureuses larmes en d’ultimes étreintes.

Albert Bensoussan est né en 1935 en Algérie dont il a partagé les déchirements dans son premier récit, Les Bagnoulis. Il vit parmi les brumes bretonnes dont le libéra Maurice Nadeau en publiant sa Bréhaigne en 1973. D’Une saison à Aigues-les-Bains (1993) aux Anges de Sodome (1996), son parcours littéraire reste celui d’un exilé du vert paradis. L’Alger de son adolescence, qui inondait les plages solaires de Pour une poignée de dattes (2001), brûle encore dans les cendres d’un passé aboli et survit sur les sables d’un rivage revisité. Toujours publié aux Éditions Maurice Nadeau en 2017, Le vertige des étreintes est parcours de ville, entre rires et pleurs, fiction de vie, entre songe et mensonge, tréteaux d’un monde qui, dans l’embrasement des sens, entend échapper au trou noir.

Extrait

Extrait 1

« Son prénom, si peu courant et fascinant, avait été créé exprès pour les rayons de ses yeux. Un visage encadré de flamme, et tout son être était de passion. Et de charme. Ses yeux, quelle couleur ? Moi je les ai toujours vus topaze, et sans doute étaient-ils entre vert et bleu, mais je savais qu’elle avait des yeux de miel. Nous nous sommes aimés sans pouvoir nous aimer. Sans pouvoir vivre ensemble. À tout jamais son baiser fondit sur mes lèvres.

Je te cherche, Dihya, ma sultane, sur le cercle trouble de l'eau où j'éparpille mon regard à percer ton reflet, quelque part, entre l'écume et l'onde, sur la crête d'imperceptibles effritements, quelque part, aux creux moussus où s'enflent les marées, au-delà du voile des paupières, et plus profond qu'en ce nœud d'entrailles où geignent les secrets mouvements de mon être.

Je te cherche, Dihya, ma sultane, entre la pulpe et l'écorce, entre la tige et la sève, entre le rêve et l'éveil, au-delà des carrousels figés de la courbe étoilée, entre la nuit et l'ombre, entre l'aube et le jour, entre le chacal et le loup, sur le fil englouti de l'orage, sur le flux isocèle des nuages.

Dihya, je te cherche partout où la cassure des mondes laisse passer le mirage de ton visage. »

 

Extrait 2 

«  C’était le temps des feuilles volantes où la tête tournoyait. Alors je m’asseyais dans mon lit, fermais les yeux, regardais en arrière, derrière, en amont, et tout un flot d’images me submergeaient, en parfait désordre. Mais je savais que le rêve avait ceci de bon qu’il savait donner corps et faire place nette : apaiser l’angoisse. Rêver c’est toujours suivre son désir et le réaliser, nest-ce pas ?

Déjà la France s’effaçait de ce rivage, et nous étions là, troufions du dernier quart d’heure, débarrassant la table, démontant les casernes, remballant nos munitions dans des caisses, convoyant clandestinement les soldats qui s’étaient trompés de camp, ces harkis que vomissait l’histoire… Et Mers-el-Kebir était l’ultime enclave où s’entassait l’espoir, et les radeaux du naufrage levaient l’ancre…

L’Algérie disparue, nous la portons en notre chair comme une paupière béante. »

 

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 n° 46 du 19 12 17

Traduire sa vie un article d'Alain Roussel 1

Si Albert Bensoussan est le grand traducteur que l’on sait des écrivains sud-américains de langue espagnole, et tout particulièrement de Mario Vargas Llosa, il est aussi et surtout un écrivain à part entière, auteur d’une bonne quarantaine de livres dont de nombreux romans et récits où l’Algérie de son enfance et de son adolescence occupe une place prépondérante.

Son œuvre est ponctuée d’éléments autobiographiques qui se font écho d’un livre à l’autre, qui laissent entrevoir l’espace et le temps d’une vie, avec d’inévitables silences. Le puzzle restait à reconstituer, si tant est qu’on puisse ajuster toutes ces pièces d’existence aux contours mouvants, flottant au gré de la mémoire, et qui s’enchevêtrent. C’est à ce travail de décomposition-recomposition que s’attelle Bensoussan dans Le vertige des étreintes, qu’il vient de publier aux éditions Maurice Nadeau et qui est sa tentative la plus aboutie d’engendrer le passé, lui qui n’a pas de descendance, de donner naissance à un être de mots qui lui ressemble et qui se met ainsi à vivre en nous, ses lecteurs.

Lite la suite sur https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/12/19/traduire-vie-bensoussan/

 

La Cause littéraire

Le vertige des étreintes, Albert Bensoussan

Ecrit par Patryck Froissart 15.12.17 

Il y a mille façons de vivre l’exil, le déracinement, la transplantation. Il y a mille façons d’exprimer la nostalgie, de faire remonter les souvenirs, de les trier, de leur redonner cohérence et d’en reconstituer scènes et tableaux correspondant peu ou prou à la réalité d’un passé dont on croit avoir conservé les faits et l’atmosphère. Ce livre traite le sujet en mêlant souci de réalisme, humour, émotion et subjectivité. Albert Bensoussan, né en 1935 en Algérie où il a grandi et vécu jusqu’en 1961 au confluent de trois cultures, juive, arabo-musulmane, chrétienne, entrecroise en ce roman qu’on sent fortement autobiographique d’une part ses souvenirs de sa période algérienne et d’autre part des éléments intimistes de sa vie en France, et particulièrement en Bretagne, après l’exode familial consécutif à la guerre d’indépendance, avec sa première épouse Dores, hispanophone, et, suite au décès de celle-ci, avec Leah, sa deuxième femme, anglophone.

Les premiers émois amoureux, les primes manifestations de la libido, le baiser primordial, puis les amours de rencontre suivies ou non d’une liaison émaillent le long cours de toute la vie d’un narrateur vieillissant, comme autant d’incrustations dans le récit de sa relation avec ses deux épouses. Ainsi remonte, comme autant de bulles scintillantes, le « vertige » vécu de chacune de ces étreintes, les unes fugaces bien que passionnées et ayant laissé une empreinte ardente dans la mémoire d’Albert, les autres, occultes, n’ayant eu d’existence que dans les désirs restés secrets du vieil homme.

"Elle s’enlisait en moi et c’était doux et parfumé […] Son ventre rond de mère épousait le mien, j’avais tout loisir de happer un sein, mordiller un téton, jouer le gourmand, le goulu, le glouton, et c’est de concert que nous halions notre folle nef à bon port. Jusqu’à nous échouer sur le carrelage de la salle de bains…" Se superposent à cette galerie d’amours ponctuelles, pour certaines ardemment sensuelles et pour d’autres purement platoniques voire virtuelles, l’histoire conjugale vécue avec Dores puis avec Leah. Les épisodes, les faits marquants, les résurgences du pire et du meilleur de ces deux relations de premier plan s’intercalent, s’imbriquent, se succèdent de belle manière dans un cours narratif aléatoire, non linéaire, sous forme d’anecdotes, de paroles rapportées, de moments émouvants ou drôles.

La longue, lente, effroyable dégradation de l’état de santé de Dores la Galicienne est décrite sans fausse pudeur, dans ses détails les plus morbides, jusqu’au dernier râle. L’auteur-narrateur-personnage, tout en opérant ici et là quelque distanciation, probablement psychologiquement nécessaire, exprime le plus souvent avec une intensité qui atteint le lecteur en partage les souffrances de son épouse malade et sa propre douleur lancinante au souvenir de l’évolution dévastatrice de la maladie. Entre les lignes d’humour, sous les phrases de dérision se lisent le désespoir, la colère, le tragique sentiment d’impuissance du mari qui voit se détruire et dépérir de jour en jour la femme aimée. "Un tremblement essentiel, rien d’autre, tel fut le verdict lorsque je la menai à la consultation du CHU […] Mais pour l’essentiel c’était plus stupeur que tremblement. Il suffisait de voir ce masque d’hébétude qui peu à peu collait à ses traits, naguère si vifs… Hier encore, et puis le ciel lui est tombé sur la tête, en entraînant ses molaires, ses incisives, peu à peu dépeuplant sa bouche… La vérité, c’est que nous vivions cernés par la maladie, enfermés l’un dans l’autre, comme dans un oeuf fêlé […], d’autant plus sévèrement qu’elle répondait à mes minauderies d’ex-amoureux transi par de rauques monosyllabes qui avaient remplacé chez elle ce velours de timbre…"

Comment faire comprendre à Leah, la seconde épouse, la remplaçante, l’intensité de la poignante prégnance de cette relation antérieure ? Le faut-il, au fond ? Est-ce communicable ? Garder, ou non, pour soi, en soi, les radieux et les tristes jours de cette vie-là ? L’auteur-narrateur se pose ces questions. Le quotidien, avec Leah, qui semble fait de légèreté, de complicité, de bonheurs simples, cautérise la plaie, sans en faire disparaître les stigmates, et atténue le deuil, sans en tarir les constantes résurgences.

L’auteur entremêle le « vertige des étreintes » amoureuses et ses souvenirs nostalgiques d’une Algérie perdue, qu’il ranime en une fresque vivante et pittoresque de la vie des quartiers d’Alger où il a vécu. Sur ces scènes tragi-comiques flottent toutefois les nuages de plus en plus sombres de la guerre civile qui s’installe, avec son lot meurtrier d’attentats et de représailles et la désagrégation des relations entre les différentes communautés. Albert traduit en ces occurrences avec une sombre rancoeur sa perception, proche de celle qu’a souvent exprimée Camus, des événements dramatiques de la guerre d’Algérie qui ont d’abord provoqué l’exil de la famille, et auxquels il lui a fallu ensuite prendre part au titre d’appelé, mobilisé et incorporé dans les rangs des forces françaises engagées dans la répression. "La guerre, toujours la guerre […] L’enfer est au milieu de cette joute farouche […] La dérive se poursuit, le monde entier bascule […] L’Algérie disparue, nous la portons en notre chair comme une paupière béante…"

La cicatrice de l’exil se rouvre lorsque l’auteur retourne, bien des années plus tard, dans sa ville natale. "Qu’a-t-elle à voir avec la mienne, cette ville que j’ai revue vingt ans après ? Alger n’est plus."

 

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de Pierre Assouline

L’éternel écrivant

Par Daniel Lefort

Même si tous font usage de la main pour coucher sur le papier ou, de plus en plus souvent, afficher sur l’écran le produit de leurs rêves et de leurs pensées, il y a au moins deux sortes d’écrivains : ceux qui parlent et ceux qui observent, les adeptes de la parole et les familiers du regard, les uns enclins au récit et les autres rompus à la description – peut-être y a-t-il entre eux la même différence qu’entre les historiens et les géographes, les conteurs et les peintres. Albert Bensoussan est sans conteste dans le clan des conteurs. Il l’a prouvé par les quelques trente ouvrages de fiction publiés, où le roman le dispute au conte et au poème. Il nous en donne une démonstration sans équivoque avec le dernier-né de son abondante bibliographie : Le vertige des étreintes (Maurice Nadeau, 261 pages, 19€).

Un titre somptueusement voluptueux certes, pour évoquer les femmes d’une vie, aimées un jour ou une nuit, adorées pendant des années, toutes convoquées par la grâce du souvenir qui se fait plus aigu et plus déchirant à mesure que le temps passe et que la mémoire se fissure. Car ce qui était dans les précédents récits d’Albert Bensoussan succession de petits contes illustrant surtout les années heureuses de l’enfance et de l’adolescence en terre algérienne devient ici «un kaléidoscope» mémoriel de fragments qui s’entrechoquent dans un apparent désordre.

 

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INFORMATION JUIVE

Octobre-Novembre 2017

 La Mémoire juive par Serge Hannoun

Tous droits réservés à l'éditeur

 

En cette rentrée littéraire paraît aux Éditions Maurice Nadeau un nouvel ouvrage d'Albert Bensoussan, dont nous avions présenté il y a quelques mois L'Anneau, recueil de nouvelles, et qui a fait paraître récemment dans la collection Folio-Théâtre une nouvelle et intéressante traduction des Noces de sang de Federico Garcia Lorca. Cette fois-ci il s'agit d'un roman, les inconditionnels d'Albert Bensoussan s'en réjouiront certainement, et ce sera, pour ceux et celles qui le connaissent moins une belle occasion de le découvrir.

L'auteur fait parler un narrateur, « Benyamine Benayon 18 rue Danton » qui revisite sa vie « Roman », mais d'un type particulier, car s'il y a bien une trame narrative, elle se mêle à des anecdotes et des réflexions intimes qui ne sont pas sans évoquer les Essais de Montaigne et Qohelet (L’Écclésiaste). Mêlant fiction et réalité, songes et fantasmes, le récit conduit le lecteur à la découverte progressive de certains moments de la vie du narrateur, son enfance, ses parents, ses rencontres amoureuses, ses amis, l'Algérie d'avant l'Indépendance, Alger la Blanche, avec « l'étagement des cubes immaculés, les arcades sur le port, les collines au jasmin, les touffes d'asphodèles, le sang vif des bougainvilliers ».

Comment résumer brièvement ce roman dense, dans lequel la vie du narrateur défile, « déroule en catastrophe » et dans lequel souvenirs et méditations alternent harmonieusement ? Nous découvrons Benyamine, le narrateur, perdu dans les rues d'Alger a l'âge de 5 ans la veille de Roch Hachana II fait alors la rencontre de Dihya, une petite fille kabyle qu'il recherchera sa vie durant au travers des différentes rencontres féminines et amoureuses qu'il connaîtra par la suite, et qu'il retrouvera sous les traits d'une bibliothécaire bien plus tard à Marseille. Deux figures majeures s'imposent dans la vie sentimentale de notre narrateur. Dores la Galicienne d'abord, qu'un ami lui avait présentée, et qu'il décide de revoir sur un « coup de dés » (le hasard joue un grand rôle dans la vie de Benyamine). Naufragée de la guerre d'Espagne, comme lui qui vient de quitter l'Algérie devenue indépendante. Et c'est le coup de foudre. Dores sera l'amour de sa vie, la complice intellectuelle qu'il épouse, mais dont malheureusement il n'aura pas d'enfant, pas de fils, regrette-t-il, pour réciter le Kaddish après sa mort, car arrivé au crépuscule de sa vie, la mort le hante, elle qui a emporté au cours des ans tant de ses proches, amis, parents, êtres aimés, ces défunts auxquels il rend pieusement visite à la « Maison de Vie ». Dores, « ma jumelle, mon amour, ma sœur », tombe gravement malade, et Benyamine va l'accompagner tout au long de sa longue maladie, l'entourant de son affection, de ses attentions, mais souffrant de la voir devenir si dépendante et incapable de communiquer.

 

« J'ai l'âme pieuse, et ma voix se brise sur les arêtes du vieil hébreu »

Albert Bensoussan écrit alors des pages émouvantes sur l'angoisse qu'on éprouve face à un être proche en fin de vie, sur la souffrance ressentie face à une personne qui a perdu la tête, sa « dormante », dit-il, sur la douleur face à cette aimée qu'on « accompagne en décadence », mais aussi sur la place et le rôle des aidants.

Après la mort de Dores, Benyamine, devenu « chibani » en quelque sorte (« vieux » en arabe maghrébin), épouse en secondes noces Leah, sa « femme ultime », sa « dernière halte », qui le taquine volontiers, un peu dépressive, et qu'il prend plaisir à observer endormie. Juif en errance, le narrateur, tout comme l'auteur, vit a Rennes où il a été professeur d'université, Rennes qu'il quittera après son mariage religieux avec Leah, pour revenir (définitivement ?) dans la capitale, bretonne où, son père avait été hospitalisé après une blessure de guerre en 1915. Et comme d'habitude nous retrouvons avec plaisir l’univers, le style si particulier d'Albert Bensoussan, écrivain, universitaire, traducteur et poète, épicurien et érudit, son style si particulier, alternant anecdotes, commentaires, songes, courts poèmes, moments d'histoire avec un grand H, mais parvenant toujours et élégamment à retrouver le fil de son récit. Le narrateur-auteur interrompt alors son récit pour raconter son service militaire à la fin de la guerre d'Algérie sur un piton rocheux près de la frontière marocaine, la fin dramatique de l'Algérie française, pour nous parler de sa vie d'étudiant, de ses amitié littéraires, évoquer ses rencontres avec Marie Cardinal ou le Colonel Argoud, nous narrer le jeûne de 6 jours du grand-père Yehouda de Debdou, nous dire son amour de la langue et de la culture françaises. Et ceux qui ont déjà lu des textes d'Albert y retrouveront ici sa verve, la richesse de son vocabulaire, et son amour de la langue arabe qu'il ne parle pas mais dont il se plaît à prononcer les mots, mots dont la sonorité le réjouit. Et sa fidélité à un monde disparu qu'il parvient à évoquer merveilleusement, l'Algérie d'avant l'Indépendance et l'Exil « nos traditions judéo-arabo-berbères, la musique, la cuisine et les youyous non, personne ne pourra m'en défaire ». Ils y retrouveront aussi cet attrait pour les jeux de mots, les calembours, un humour qui alterne avec des moments plus émouvants, l'évocation des parfums, des couleurs de sa terre natale. Mais ils trouveront également cette proximité simple avec la religion, cette fidélité aux traditions, cet amour des textes bibliques. « J'ai l'âme pieuse, et ma voix se brise sur les arêtes du vieil hébreu », nous dit-il. Et avec quelle émotion récite-t-il le Kaddish, cette prière dite des morts, mais totale louange de Dieu, et combien sont émouvants ses citations et commentaires de Qohélet !

 

Qui a dit que le but de la vie était le bonheur ?

L'autodérision, un certain désenchantement parcourent le livre. « Qui a dit que le but de la vie était le bonheur ? » nous confie-t-il. Bensoussan a intitulé son livre « Le vertige des étreintes » Benyamine nous parle des sensations vertigineuses qu'il éprouve depuis son départ d'Algérie. Des étreintes, son texte, hymne à l'amour, amour de l'être cher, de la vie, en est riche. Et il est vrai que certaines étreintes peuvent par leur intensité, par la joie ressentie, partagée, peuvent nous étourdir. Mais peut-être aussi « vertige des étreintes » parce qu'on désire étreindre, aimer la vie, les êtres autour de nous, posséder, mais qu'on n'y réussit jamais tout à fait et parfois le vertige nous prend avant de conclure ou quand on se retourne sur le passé. Alors, « fuir le bonheur avant qu'il ne se sauve », comme le lui chante Leah ? Certains se demanderont certainement si tout est « vrai », quelle est la part du vécu et de l'imagination dans le récit que fait le narrateur-auteur. À ceux-là, Amos Oz avait déjà répondu dans son grand œuvre, Une Histoire d'Amour et de Ténèbres, « Au fond, quelle est la part de l'autobiographie et de la fiction dans mes récits ? Tout est autobiographie (...) Le mauvais lecteur exige que je lui épluche mon livre ». Et de conclure : « On se trompe si l'on cherche le cœur de l'histoire dans l'interstice entre la création et son auteur il vaut mieux le rechercher non pas dans l'écart entre l'écrit et l'écrivain, mais entre l'écrit et le lecteur ». Et c'est bien ce à quoi nous engage Albert Bensoussan par son œuvre, notamment dans ce livre. Chantre de la mémoire juive d'Algérie, riche d'une expérience et d'une vie belle, se penchant sur son passé et ses manques, ses pertes, il nous invite à en faire de même, à nous souvenir non pour entretenir une nostalgie douloureuse, mais pour revivre des moments heureux que nous-même avons vécus, pour « ressusciter » nos morts — « Oui, nous dit-il aussi, mes défunts sont en vie » — pour mieux nous comprendre nous-mêmes, accepter nos échecs et notre finitude, nous accepter avec joie et sérénité. Concluons avec cette réflexion de l'auteur sur la vieillesse : « On dit que la vieillesse, le plus souvent, conduit a l'indifférence (...) L'on a tendance à croire que ce repli, ce reflux d'énergie, de force ou de projet est défaut sénile, sans voir que c'est attitude de sagesse ». C'est du plaisir de lecture en même temps qu'une leçon de vie que nous offre Albert Bensoussan.

(Le vertige des étreintes par Albert Bensoussan, Éditions Maurice Nadeau 19 E)

 

 BELVEDERE 

Messina – Santa Croce sull’Arno – Milano – Lyon 

N. 49 (8ème année mail) (2500 envois en Europe) Septembre-Octobre 2017 

Journal poétique et humoral en langue française italienne et sicilienne (envoyé par l’intermédiaire de La Déesse Astarté

Association Loi 1901 av. J.C.) de l’écrivain Andrea Genovese seul auteur de tous les textes publiés. Belvédère est un objet littéraire. 

Arabitudes 

Alger mon amour 

Le vertige sensuel d’Albert Bensoussan 

‘L’écriture hasardeuse’, selon la formule de l’auteur lui-même, d’Albert Bensoussan éclate dans Le vertige des étreintes un roman à l’âpre saveur autobiographique qui vient de paraître aux éditions Maurice Nadeau dans les détours papillonnants d’une géographie aux contours physiques bien définis mais qui n’en sont pas moins ceux de l’âme et du souvenir. Déraciné comme tout un chacun peut l’être, le narrateur, juif de la diaspora algérienne, avance avec des zigzags temporels humoraux et linguistiques de son passé à son présent, de sa nostalgie de l’adolescence emportée par les avatars d’une guerre qui n’avait pas de nom, dans un Alger qui n’oublie pas Camus, à son exil métropolitain. De ses amours de jeunesse insouciante au déclin physique de l’être aimé. On pourrait dire qu’il s’agit d’un cheminement de croix (s’il n’y avait pas l’appartenance plus ou moins assumée à une historicité sinon à une véritable religiosité juives), ou mieux d’un stoïcisme à l’allure classique, justifié d’ailleurs par la variété des références savantes, doublé d’un pessimisme de fond sur le destin des hommes qui « tout autant que les moutons de Panurge » se précipitent « d’un pas assuré et vif, au ravin». Pour enfin disparaître après avoir traîné leurs précaires coquilles corporelles dans un flou parkinsonien, tel l’épouse aimée. Alger, presque une Combray proustienne, revient dans le souvenir comme une oasis, mais polluée par la révélation brutale de la destinée des hommes, livrés aux aléas de la guerre, de la maladie, du vieillissement, de la parabole qui se ferme sur elle-même et emporte les doux vertiges des étreintes amoureuses. L’enracinement en France, la reconnaissance que Bensoussan en fait avec la gratitude du réfugié, est voilé par l’amertume et la nostalgie, car ayant tout oublié de la langue arabe, l’auteur est devenu « un analphabète au pays où je suis né ». Pour ce qui concerne la remarquable invention linguistique, un seul mot, naufralger, en dit long sur cette quête de l’âme à travers une langue-patrie richissime. Où l’ironie, aussi épointée soit-elle, demeure l’arme la plus redoutable pour décrire et circonscrire la précarité existentielle. L’impuissance et la douleur, le “mal de vivre”, atteignent des notes d’une déchirante sublimation poétique.

 

Ecoutez sur Radio RCF un entretien avec Albert Bensoussan

https://rcf.fr/culture/albert-bensoussan-jean-louis-coatrieux-leurs-souvenirs-de-lalgerie-et-de-68

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