Kaboul rue des Fleurs
C’est par désœuvrement qu’Anne Amzallag est partie pour Kaboul en 2004 munie de sa caméra. Cette destination était arbitraire (si ce n’était le fruit du pur hasard). Elle est reçue par Warren, un Anglais qu’elle découvre en même temps que la ville. Il est à Kaboul au sein de la Reconstruction. Anne va rencontrer un grand nombre de militaires et de civils qui, pour la plupart, travaillent pour un programme des Nations unies visant à désarmer les Moudjahidin et les rendre à la vie civile. Cette mission a pour nom DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion).
Anne prétend travailler pour une chaîne de télévision et on la prendra pour une authentique journaliste. Son regard cependant, et sa situation même, en porte-à-faux, font qu’elle porte un regard entièrement personnel sur le monde qui l’entoure, depuis le petit peuple afghan de la rue des Fleurs, jusqu’aux hauts fonctionnaires internationaux. Sa vision et le récit qu’elle rapporte de son expérience intense sont faits d’ironie, voire de dérision mais témoignent aussi d’une véritable capacité à nouer des liens sincères. À l’issue de son séjour, un film naîtra, DDR, à propos duquel le journal Le Monde écrira en juillet 2005 «??qu’il constitue un bon exemple de ce qui distingue le cinéma de la télévision ou du journalisme ». Kaboul, rue des Fleurs est un récit vif et audacieux sans équivalent dans la littérature d’aujourd’hui.
Anne Amzallag, née à Agadir au Maroc, arrive en France à l’âge de 17 ans. Elle étudie l’arabe à l’Institut des langues Orientales et vit plusieurs années en Égypte. Elle est réalisatrice de documentaires. DDR est visible sur YouTube. Kaboul, rue des Fleurs est son premier livre.
Extrait
Extrait 1
« Mon dernier travail était pour une chaîne câblée, j’écrivais la météo pour une fille aux gros seins, une bimbo au regard triste. La plupart du temps je ne faisais rien, car elle préférait l’écrire elle-même, sa météo, elle avait son « style », disait-elle. Alors je me contentais d’aller chercher les cartes météo et de les lui transmettre, puis de l’accompagner au tournage, c’était à peu près tout. La plupart du temps je rêvassais dans le bureau, j’essayais vaguement d’écrire un projet de documentaire. Quand mon contrat fut venu à expiration, je me retrouvai la proie d’un désœuvrement total. C’est cette vacuité qui probablement me conduisit sur un site de rencontres. Comme ça, sans raison, un jour comme un autre, un triste mois de novembre. Il fallait choisir un pays. Pour que ça aille plus vite, ce fut le premier pays de la liste par ordre alphabétique : l’Afghanistan... Apparaît une seule personne, un Anglais s’attribuant une cinquantaine d’années, se disant seul à Kaboul, travaillant pour une société internationale, recherchant une relation amicale ou amoureuse, parlant plusieurs langues, voyageur, curieux, cultivé, mélomane, cinéphile. Il parle le français. Je télécharge la photo. Un peu vieux, oui, ni beau, ni moche, grand, la peau grêlée, le cheveu blond filasse, le teint rougeaud, les pommettes saillantes. Pourquoi pas, il a l’air sympathique. Je lui écris : je suis réalisatrice de documentaires, je m’intéresse beaucoup à l’Afghanistan... »
Extrait 2
« Nouvelle journée avec le colonel pour vérifier les armes. Il me tape sur les nerfs, mais je suis obligée de ne pas trop le montrer. Il n’arrête pas de me dire : « Filme ceci, filme cela, shoot this, shoot that, en tant que journaliste, tu devrais avoir des réflexes. » Je lui dis : « Je ne suis pas journaliste, et je sais ce que je veux filmer. » On se moque un peu de lui avec Hamid (son très charmant interprète, jeune homme qu’il dit traiter en égal, de même que son chauffeur, parce que chaque matin il leur offre un café…). Nous sommes allés déjeuner ensemble avec son équipe, il n’arrêtait pas de dire : « In my country, in my country?. » Évidemment, c’est toujours mieux dans son pays.
J’ai vu Shekib aujourd’hui, toujours aussi charmant, il a enfin compris qu’il ne fallait pas se jeter comme ça sur moi. »