Soixante ans de journalisme littéraire - Les années Quinzaine littéraire
En librairie le 10 novembre 2022
« Il existe un « journalisme littéraire ». On s’abstiendra de le caractériser, parce qu’il nous semble avoir autant de rapports avec la littérature que la levée de plans du géomètre avec le terrain qu’il arpente. Pour nous, le seul événement qui compte, parce qu’il est le seul important, c’est le livre. Par extension, la pièce de théâtre, le film, l’exposition : l’œuvre. Rêvée, conçue, imaginée, façonnée par certains hommes en vue d’autres hommes, et close sur son secret, mystérieuse, aux pouvoirs difficilement définissables. Telle qu’en elle-même, hors des adultérations du commerce, des entraînements de la mode, des appels de la publicité. L’œuvre vaut toujours plus que le bien, ou le mal, qu’on dira d’elle. La forme de journalisme que nous avons choisie est d’inviter à y aller voir, de jeter un mouvant pont de lianes entre elle et le public. » Maurice Nadeau (avril 1979)
Succédant aux Années Combat (1945-1951), et aux Années Lettres Nouvelles (1952-1965), ce troisième tome de Soixante ans de journalisme littéraire rassemble l’intégralité des textes littéraires de Maurice Nadeau, parus de 1966 à 2013, dans La Quinzaine littéraire, ainsi que ceux de sa revue Les Lettres Nouvelles de 1966 à 1976. ISBN 978-2-86231-289-7 1824 pages, Index et sommaire des oeuvres chroniquées de l'ensemble de la publication (Tome 1 à 3)
Maurice Nadeau (1911-2013) a commencé en 1945 sa carrière à Combat, le quotidien d’Albert Camus et Pascal Pia. Il y a dirigé une page littéraire hebdomadaire de 1946 à fin 1951. Puis, critique littéraire à France Observateur et à L’Express, il fut aussi directeur de collection chez Corrêa où il a fait connaître, entre autres, Malcolm Lowry, Henry Miller, Lawrence Durrell...?Tout en animant sa revue, Les Lettres Nouvelles, de 1956 à 1976, il a poursuivi son travail de découvreur chez Julliard (Bruno Schulz, Witold Gombrowicz, Georges Perec...) puis chez Denoël (Walter Benjamin, Hector Bianciotti, Varlam Chalamov...) avant de fonder sa propre maison d’édition. Il y a édité notamment, parmi les plus connus, Thomas Bernhard, J.?M. Coetzee, Stig Dagerman, Michel Houellebecq. Fondateur de La Quinzaine littéraire qu’il a dirigé de 1966 jusqu’à sa mort, en 2013, il a fédéré autour de lui un ensemble de collaborateurs qui aujourd’hui animent collectivement la revue littéraire en ligne En attendant Nadeau.
Préface de Tiphaine Samoyault.
Extrait
Note de l'éditeur
Ce recueil de 1824 pages offre au lecteur plus de six cents œuvres chroniquées ainsi que cent soixante études et portraits d’écrivains, où l’on peut distinguer les noms d’Aragon, Baby, Beauvoir, Blanchot, Breton, Céline, Chalamov, Douassot, Le Clézio, Leiris, Miller, Simon, Sartre, Wolfe. Ils côtoient ceux de Bourdieu, Chamoiseau, Deleuze, Derrida, Eco, Finkielkraut, Girodias, Gracq, Houellebecq, Kundera, Primo Levi, Magris, Mascolo, Michon, Modiano, Samoyault, Schulz, Sciascia, Semprun, Siniavski, Soljenitsyne, Sollers, Spianti, Tabucchi, Zinoviev. Avec les deux premiers tomes parus de Soixante ans de journalisme littéraire, l’ensemble prend la dimension d’un véritable monument littéraire.
Un index des noms cités dans le tome III ainsi qu'un sommaire de l'ensemble des oeuvres chroniquées par Maurice Nadeau dans les trois tomes de Soixante ans de Journalisme littéraire figurent en fin d'ouvrage.
Extraits de la Préface de Tiphaine Samoyault
« Depuis Combat, mais aussi depuis l’aventure éphémère des Lettres Nouvelles hebdomadaires, en 1959, Nadeau rêvait de faire un journal. Un journal n’est pas comme une revue qui, elle, est branchée sur le temps long de la réflexion et, vouée à entrer sur les rayonnages, au temps conservé de la bibliothèque. Un journal, c’est de l’implication directe, le resserrement du temps entre lecture, écriture et publication, c’est l’actualité immédiate, brûlante, c’est considérer que la littérature, les idées sont aussi le lieu d’une actualité et peuvent faire également l’objet des nouvelles du monde. Ce sera un quinzomadaire, qui réclame un peu moins d’énergie que l’hebdo, mais il aura le format d’un quotidien : ni papier glacé, ni préséance de l’image sur le texte. À l’époque, qui est encore un âge d’or de la presse en kiosque, personne ne fait cela. Le modèle explicite de Nadeau et d’Erval est anglo-saxon. C’est celui du Times Literary Supplement (TLS) et de la New York Review of Books, suppléments hebdomadaires aux deux grands quotidiens, destinés à couvrir l’actualité des livres mais avec des articles de qualité, mus par la passion, le souci de transmettre mais aussi de l’expertise. « Pas un simple journal de recension d’ouvrages intéressants, mais un périodique animé du désir d’intervenir dans les domaines variés de la création : littéraire, philosophique, sociologique, historique, artistique, etc. Un programme ambitieux, comme vous voyez », comme le dit Maurice Nadeau à Jacques Sojcher. C’est du journalisme spécialisé. »
Les temps changent, Nadeau reste
« La longévité de Nadeau ne tient pas seulement à l’âge qu’il avait quand il est mort, mais à cette présence absolue au temps présent qu’il maintient active dans la longue durée. Ses engagements antérieurs – ceux dont témoignent les deux premiers volumes de ses oeuvres complètes – en font une référence morale et sa mémoire prodigieuse ajoute encore à cette valeur de grand témoin. C’est lui que l’on rejoint, au moins autant que son journal, et on accepte de lui la sorte de despotisme éclairé par laquelle il conduit son entreprise, très à l’écoute mais décidant de tout, opaque sur les comptes et sur le nombre d’exemplaires vendus, mais confiant dans le prix du symbolique. La forme que prend son engagement au fil du temps accompagne l’évolution de ce temps, d’un lien très fort aux événements, au début, jusqu’à une implication par la subjectivité, à la fin, dans une trajectoire qui est celle de la littérature elle-même de l’extériorité vers l’intériorité. »
En savoir plus...
Cet ensemble représente un travail éditorial impressionnant qui resitue chaque période et propose des outils fort utiles pour circuler dans un corpus qui dépasse le foisonnement. On trouvera ainsi dans ce troisième tome un index complet et une table raisonnée de l'ensemble des textes critiques de Maurice Nadeau. Ce dernier opus, le plus vif peut-être, le plus proche du lecteur en tout cas, invite à enjamber la deuxième partie du siècle et suit l'aventure improbable et quasi légendaire de La Quinzaine littéraire." (...) il prend parti, il étrille Philippe Sollers, le petit milieu littéraire parisien, les prix et les institutions de toute sorte, les écrivains à la mode, s'enthousiasme pour des auteurs qu'on ne connait pas alors comme Hubert Selby Jr qu'il rapproche de Genet, défend des écrivains qu'on méconnait comme Piotr Rawicz ou Pierre Sylvain, parle avec vigueur des livres d'Annie Le Brun, des romans deRéjean Ducharme, de la poésie de T.S. Eliot ou de Blaise Cendrars... Mais surtout, il intègre la littérature, la connaissance, à la vie, à la réalité, aux injonctions du présent. Le meilleur exemple en sera sans doute sa défense et sa promotion des dissidents russes - de ses lectures formidables des livres de Soljenitsyne à sa défense d'Amalrik ou Sakharov ou de sa diffusion clandestine (avec Christian Mouze) des premières traductions de Varlam Chalamov !
Marc Verlynde consacre, dans "La Viduité", une analyse fouillée aux Années "Quinzaine littéraire" , extraits :
Outre son immense travail d’éditeur, Nadeau fut aussi un critique de premier plan ou plus exactement un journaliste littéraire. Comme pour le second volume, il convient de le préciser pour le lecteur, jamais l’auteur ne fait assaut d’érudition ou d’universitaire prétention. Une volonté de limpidité, une façon de paraphraser le texte pour en faire voir les enjeux, pour en faire entendre aussi l’intrigue. Disons-le : une sorte d’aisance dans le style journalistique à son meilleur, comprendre dans sa volonté de rendre compte, au jour le jour, tous les quinze jours de fait, comment se fait actuellement la littérature. Un peu d’ironie bien placée, de saillies bien senties, d’assez drôles références à l’actualité. (...)
On revient, à ce qui se dit, toujours à ses premieres amours. Pour Maurice Nadeau l’indépendance est aussi une question de fidélité. Une façon surtout de participer à l’élaboration de l’histoire littéraire. On le sait : les influences s’effacent, les grands auteurs d’hier parfois ne parlent plus. Tout au long de ses années, de 1966 à 2013, l’auteur témoigne des résurgences surréalistes. Lecture très fine, passablement critique des pléiades de Breton, sympathie pour leur directrice Marguerite Bonnet. L’occasion aussi d’un autoportrait qui s’affirme de plus en plus. Les rencontres avec Breton presque plus que sa lecture. Historiquement c’est sans doute important de souligner que Nadeau accueile Breton de retour des États-Unis. On aime qu’il se passionne pour la naissance d’un groupe surréaliste américain, on goûte ses remarques vachardes sur Aragon, la façon dont peu à peu elles déboulonnent celui qui fut, il ne faut pas l’oublier, une figure décisive. Et bien sûr, j’espère que vous vous en doutiez, il nous faut absolument parler de la manière dont Nadeau continue à accueillir, à construire la réception comme on dit dans le monde universitaire, de chacun des livres de Leiris. Citons seulement son article sur Le ruban au cou d’Olympia (l’indéniable réussite poétique derrière l’aveu d’échec) ou celui sur son journal (infinissable, voire?). Notons aussi que la lecture des articles sur ses livres m’a redonné une furieuse envie de relire les livres d’Annie Lebrun. Comme en marge du surréalisme, il faut souligner aussi la très grande fidélité critique ouverte à Blanchot. Nadeau l’avoue, Blanchot fut l’un des meilleurs critiques de notre temps. On aime comment il hésite à en rendre compte, comment il construit aussi l’importance de livres aussi difficiles que L’entretien infini ou L’écriture du désastre....
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Patrick Corneau chronique ce même tome 3 dans son blog littéraire, Le Lorgnon mélancolique, Extrait :
"Il est difficile de résumer en quelques lignes l’œuvre de Maurice Nadeau : un journal, une maison d’édition, des mémoires. C’est une aventure très rare dans un milieu très fluctuant, très oublieux (Maurice Nadeau fut le premier éditeur de Thomas Bernhard, J.-M. Coetzee, Stig Dagerman, Michel Houellebecq, etc.) et, comme le souligne Tiphaine Samoyault* dans la présentation, « le tour de force de Maurice Nadeau est de faire de cette entreprise de presse et d’édition une œuvre véritable, autonome au sens plein du terme, à laquelle il attache son nom ».
Je ne peux non plus dire ici en quelques lignes l’impact qu’eut sur les amateurs de littérature, l’apparition en 1966 d’un journal (non d’une revue), d’un « quinzomadaire » où l’ont pouvait lire les noms de Bernard Cazes, Roland Barthes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski (qui formèrent le premier comité), vite rejoints par François Maspero, Edmond Jabès, Robert Bonnaud, Jean Chesneaux, Serge Fauchereau, Bernard Pingaud, Lucette Finas, Nathalie Sarraute, etc. signant des articles de qualité, mus par la passion, le souci de transmettre mais aussi un niveau d’expertise rarement atteint depuis. « Pas un simple journal de recension d’ouvrages intéressants, comme le confiera Maurice Nadeau, mais en outre un périodique animé du désir d’intervenir dans les domaines variés de la création : littéraire, philosophique, sociologique, historique, artistique, etc.** »Quelque chose donc de tout à fait unique qui n’existait alors que dans le monde anglo-saxon : un journal généraliste engagé et exigeant, ouvert sur l’actualité."
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LIVRES CHRONIQUE "On n’en a jamais fini avec Maurice Nadeau" par Antoine Perraud (Médiapart 5 décembre 2022)
CADEAU
Troisième et dernier tome des chroniques de Maurice Nadeau (1911-2013). Près de deux mille pages offrent à lire les articles parus à partir de 1966 dans « La Quinzaine littéraire ». Jusqu’à son dernier souffle, le critique aura exercé son art. Étincelant.
Cinq jours avant ses 102 ans, Maurice Nadeau publiait son ultime article intitulé : « Vous ne laisserez pas mourir La Quinzaine ! » Il y sonnait le tocsin, qui se voulait encore une fois préventif. Histoire de sauver à nouveau le bimensuel qu’il avait lancé avec François Erval en 1966, La Quinzaine littéraire, « qui n’a cessé de défendre une certaine qualité de l’écriture et de la pensée, et de privilégier la lucidité dans tous les domaines du savoir. Et cela grâce au concours de huit cents contributeurs : écrivains, universitaires, journalistes ». Ces contributeurs, par amitié, respect et fidélité, avaient accepté, dès 1968, aux premières alertes financières, de jouer les variables d’ajustement – comme on ne disait pas encore : travailler gratis pro Deo. Dieu, Nadeau l’était à sa façon – bougonne et non sans rouerie –, comme le sont, par nature ou par la force des choses, tant de patrons-fondateurs de presse. Il arrivait que le Créateur fît disparaître une créature de sa Création. Sans explication. Roger Dadoun et quelques autres en subirent l’expérience amère. Ils passèrent aux oubliettes du comité de rédaction. L’effet contraire était majoritaire : bien des talents repérés par Maurice Nadeau s’esquivèrent vers la grande presse. On trouve même aujourd’hui sous la Coupole deux anciennes jeunes pousses issues d’une telle couvée : Angelo Rinaldi (82 ans) et Dominique Fernandez (93 ans).
(lire la suite : médiapart https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/051222/n-en-jamais-fini-avec-maurice-nadeau)
Voir aussi la video à la soirée d'hommage à la scam où Antoine Perraud questionne Maurice Nadeau aux côtés de Gilles Lapouge et Gilles Nadeau et Angelo Rinaldi. (21 mai 2011)
et aussi L'hommage de Jean Birnbaum sur Le Monde.fr https://www.dailymotion.com/video/x10z8cu
et aussi un entretien avec Sylvain Bourmeau pour Mediapart à l'occasion du millième numéro de La Quinzaine littéraire (octobre 2009)