Panier: 0

Ervé

Morsures de nuit

Prix spécial du jury du Prix du Roman de la Nuit 2024.

« L’infini des nuits se compte en continents qu’on arpente en songe quand on sommeille à peine ».

Après les « Écritures carnassières » qui narraient par bribes des moments de sa vie, Ervé explore ses errances nocturnes, les nuits kaléidoscopiques qui auraient pu l’emporter ou celles qui l’ont sauvée, cet espace autre où la solitude se fait ouatée, où il peut se cacher et dessiner un destin secret. Ces nuits sont peuplées de leur cortège d’âmes brisées, des femmes fugaces et disparues qui reviennent le hanter, tout comme des silhouettes fantomatiques de toutes sortes qui glissent à ses côtés. Dans ces Morsures de nuit, le regard d’Ervé « toujours un peu au bord du monde », pose un regard singulier à la fois bienveillant et extraordinairement acéré sur notre réalité.

Image de couverture :  Ervé © Philippe Martin  160 p. 978-2-86231-513-3. En librairie le 15 septembre 2023.

 

Ervé a vécu jusqu’à cinquante ans dans la rue. Il a trouvé un toit pour s’abriter et une « maison » pour être édité. Il continue ce qu’il a toujours su faire, écrire. Morsures de nuit est sa deuxième publication. 

Extrait

« Comme à l’accoutumée, j’ai droit aux questions à la con. Qui je suis. D’où je viens. Pourquoi je suis là. Réponse à la con à questions tout autant : Je suis, je viens de loin, je vis là. Sa moue perplexe me fait sourire. Je la trouve belle cette moue. Je lui explique que je suis SDF, qu’ici c’est mon bout de trottoir et que je n’ai pour horizon que ce qui ne m’empêche à rien. Tout en riant, elle m’avoue qu’elle n’a rien compris à la fin en me proposant le joint. La rue est vide, même les terrasses. Tout autour, les rideaux baissent. Enfin. Quelques murmures des appartements tout au plus viennent à mes oreilles. Elle me tend un gobelet et y sert une très large vodka. Elle tremble un peu. Ses mains tremblent un peu. Et ce n’est pas de froid puisque la nuit est douce. (...) Elle habite non loin et m’y invite. Je refuse. Trop jolie et bien trop éméchée. Je lui explique mon refus par le «?demain, tu regretteras.?» Elle boude. Je la trouve encore plus attirante et tire sur le joint.

Elle veut visiter la cave. Je lui réponds souris et rats. Elle veut comprendre ma détresse, je lui réponds «?morsures?» et «?flottements?». Ses yeux du noir des filles du Maghreb m’envoûtent, aidés par les lueurs sourdes du lampadaire au loin. Dieu que cette femme est divine. Et morsure.

Elle insiste pour que l’on aille au bord du canal «?se finir?». Je flotte.

Elle finit par vomir sa mauvaise boisson et je la raccompagne jusqu’au pas de chez elle. Tu es gentil vampire. Entre. »

 

« Absurde immobilité dans la nuit. Carcasse de pluie. Ses pieds tremblent juste un peu. Son cerveau résonne encore mais ne peut pousser cri. À peine du sanglot. Son cœur cesse. Il sourit. Il veut bien partir enfin. Plus de lourd à porter se dit-il. Ses larmes se mélangent au jaune-gris des réverbérations dans les flaques. Il part de chez nulle-part. Mais…

Une gamine espagnole a posé sa bouche sur la mienne et ses mains sur ma poitrine. Elle m’a réveillé. Quand les pompiers sont arrivés, je ne cherchais qu’elle. Elle était nulle-part. On me croyait fou. J’ai refusé l’hôpital. Je voulais rester là. Pour la recroiser. Palpite en moi, souvent, le souffle d’une autre personne qui me parle…

J’ai fait une troisième alerte cardiaque à ce moment-là. J’étais en état de mort quand une jeune femme a pratiqué les soins en attendant les gyrophares. Je ne sais ni son prénom ni son âge. Elle m’a réinsufflé. Elle était touriste espagnole. »

 

 

En savoir plus...

Voici une très belle émission sur "Morsures de nuit" diffusée sur France Bleu RCFM "Des livres et délire" :

https://www.francebleu.fr/emissions/des-livres-et-delires/rcfm

« Morsures de Nuit » : la littérature sans toit ni loi selon Ervé par Jérôme Garcin dans L'Obs du 12 décembre 2023

A 50 ans et des poussières, Ervé publie la suite d'« Ecritures carnassières » et continue, incisif et tranchant, le récit de sa vie de SDF. Un livre d'une poésie folle, écrit au ras du sol et à ciel ouvert.

Noël approche et, pour Ervé, ça reste une « merde de joyeux Noël » . Car, durant plus de vingt ans, il a passé le glacial 24 décembre dans la rue. « Mes pas sur vos chaussées humides me renvoient les lumières de vos néons de Noël décoratifs et futiles tandis que vous dormez. Le sommeil ne veut pas de moi, alors il faut que je me fatigue . » Combien de fois, cette nuit-là, n'a-t-il pas pensé à se « foutre en l'air » ?

La probabilité d'apercevoir au pied du sapin ses deux petites filles, ses deux « poumons » , comme il les appelle, l'en a toujours dissuadé. Et puis écrire l'aide à ne pas abdiquer. Pour chasser ses idées noires, il noircit des pages sous les réverbères. Il les a rassemblées l'an passé dans un premier livre, « Ecritures carnassières ». Avec « Morsures de nuit », voici, incisive et tranchante, la suite. Et la preuve qu'Ervé a désormais un domicile

Écrire la rue par Jean-François Laé dans EAN du 5 décembre 2023

Dans Morsures de nuit, il revient à la charge, en charge de ce qu’il a vu : « Je suis un survivant qui a vécu la disparition de trop nombreuses personnes sans abri, précaires, paumés, avec pour certains les stigmates de la DDASS. » Et de revisiter ses « trop plein la tête », ses envies de partir, de fuguer, de lâcher la vie, à travers ses « toits d’occasion » qu’il parcourt depuis vingt-cinq ans. 

D’une écriture dense et habitée, ses notations font diagonale entre nomadisme et attachement, bagarre et affection, perte de liens et espoirs de tenir une main une heure seulement. Juste pour sentir l’autre, d’une même condition. De ses carnets écrits au fil des mois, les séquences se succèdent comme des flashs : nuit d’hôtel, ruelles exigües, veilleuse de nuit, dortoir, l’œil gauche poché, obsèques en veux-tu en voilà. Car Ervé en a fait, des enterrements ! Il en a vu des morts de la rue et des amis perdus entre tremblote, désir d’aimer et coma prématuré. La vie à la rue a ses dangers. Il faut des années pour l’adopter. Reste pourtant collées comme du sparadrap les marques de l’enfance en maison collective, avec ce mot : placé.

Juliette Einhorn consacre sa chronique du Monde des livres du 17 novembre 2023 à Morsures de nuit sous le titre Ervé ou la poésie du tombeau des nuits. L'écrivain et SDF ajoute un tome vibrant à son journal de rue.

"Malgré la tristesse et la colère, l’âpreté sans nom de cette existence à ciel ouvert, la poésie fait valoir son urgence. Pour relire Rimbaud, nul besoin pour Ervé d’ouvrir ses livres :il se récite ses poèmes de mémoire. Avec ses propres mots hantés, qu’il dédicace à ses deux filles (ses «deux poumons»), il transforme ce qu’on pensait être un mausolée en un recueil vibrant, où la morsure devient baiser..."

Que c'est beau et ravageur Paris la nuit par Sylvain Boulouque dans L'Ours du 27 octobre 2023 

L'écriture est toujours aussi ciselée, évoquant au fil des pages la violence de la rue, les bagarres entre clochards, les nuits : errer, la drogue et ll'alcool et leurs ravages. Ses copains qui meurent d'overdose ou de maladie sans qu'il puisse rien faire, et souvent même pas pleurer. Sa violence n'est pas contenue, elle donne parfois le frisson. La colère et la haine sont présentes à chaque page. Mais, il ne faut pas s'y méprendre, son livre est aussi un chant d'amour, peut-être pas à l'humanité mais à des lieux. Paris la nuit, le canal Saint-Martin à la fois ravageur et en même temps lieux de ressourcement..."

Nikola Delescluse conscre le 6 octobre une vibrante analyse à "Morsures de nuit" : sur Radio Campus Lille 

Retour

€ 17.00 € 12.99