Journal intime du capitalisme
Collection À Vif. En librairie le 3 novembre 2023.
Journaliste de gauche dans la presse de droite, rêveuse dans un monde de flux tendus, la narratrice raconte le travail quand il se fait piège. Elle voulait écrire dans le journal, elle découvre que le journal (ou le capital) lui impose sa langue. La voilà réduite aux réticences, aux révoltes secrètes d’une vie à contrecœur. Dans ce piège, nous sommes nombreux aujourd’hui à être pris. Comment en sortir ? Déjà, le décrire. À la première personne.
Collection À Vif, 176 p. 978-2-86231-529-4 18 €
Ève Charrin, on l’aura compris, est journaliste. Née en 1969 à Lyon, elle écrit à présent des grands reportages et des critiques littéraires. Elle a publié des livres, entre essais, enquêtes et récits : L’Inde à l’assaut du monde (Grasset 2007, Hachette Littératures,2009), La voiture du peuple et le sac Vuitton (Fayard, 2013), La course ou la ville (Seuil, 2014).
Extrait
« Au tournant du siècle, j’ai commencé à travailler dans des magazines économiques. Je menais une vie double. Chaque jour de la semaine je travaillais dans un journal dont la ligne éditoriale reflétait assez fidèlement les idées du Medef. Le soir je lisais, entre autres, les livres de Jacques Rancière ou d’Annie Ernaux qui, pour le dire vite, en sont absolument éloignés. Je tentais ainsi plus ou moins de défaire la nuit ce que la journée (le journal) avait tissé en moi. Au fil des ans, l’écart ne faisait que grandir. Il fallait bien se rendre à la réalité visible et vérifiable : chaque jour j’écrivais dans ces journaux-là une histoire dont je ne voulais pas et qu’ainsi, à ma mesure minuscule, comme beaucoup de gens, je contribuais à faire advenir. Car je n’étais pas seule à agir ainsi bizarrement à rebours de moi-même ».
« Tu t’installes à ton bureau, à côté de la cuisine, où trois heures auparavant tu as interviewé un conseiller de l’Élysée au sujet de Christine Lagarde (lorsqu’on te propose des entretiens téléphoniques après vingt heures, tu préfères travailler depuis la maison). Christine Lagarde est « peu politique », t’a-t-on dit perfidement, off the record bien sûr, voire « un peu sur la touche ». Possible, penses-tu. Comment savoir ? C’est son problème à elle, pas le tien. Tu ne vas pas perdre ton temps nocturne à t’occuper de Christine Lagarde. Sa réponse à la crise financière mérite-t-elle éloges ou critiques ? Le monde en sera-t-il meilleur, ou pas du tout ? La ministre va-t-elle, comme l’espère ton journal, contribuer à « sauver le capitalisme » ? Peu t’importe. Qu’est-ce que tu en as à foutre, toi, de sauver le capitalisme ? Non décidément, tu n’as nulle envie de t’occuper de Christine Lagarde, ni de la crise financière, ni des faillites bancaires, pas davantage de la régulation problématique des subprimes. »