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Houellebecq, Michel

Extension du domaine de la lutte

Autour de lui, les personnages luttent pour un peu d'amour, de plaisir sexuel ou d'argent. Il est technicien en informatique, il n'a plus d'ambition. Sa vie est une succession de déceptions banales, les repères sociaux s'effritent. Un roman d'apprentissage du dégoût. 181 p. (1994)

Michel Houellebecq (né en 1958) a publié un essai sur Lovecraft (Le Rocher, 1991), la "méthode" Rester vivant (La Différence, 1991) et un recueil de poèmes, La Poursuite du bonheur (La Différence, 1992). Il a continué son oeuvre chez d'autres éditeurs.

Extrait

 « La nuit est avancée, le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres, et revêtons les armes de la lumière. » (Romains, XIII, 12)

Vendredi soir, j’étais invité à une soirée chez un collègue de travail. On était une bonne trentaine, rien que des cadres moyens âgés de vingt-cinq à quarante ans. A un moment donné il y a une connasse qui a commencé à se déshabiller. Elle a ôté son T-shirt, puis son soutien-gorge, puis sa jupe, tout ça en faisant des mines incroyables. Elle a encore tournoyé en petite culotte pendant quelques secondes, et puis elle a commencé à se resaper, ne voyant plus quoi faire d’autre. D’ailleurs c’est une fille qui ne couche avec personne. Ce qui souligne bien l’absurdité de son comportement.

Après mon quatrième verre de vodka j’ai commencé à me sentir assez mal, et j’ai dû aller m’étendre sur un tas de coussins derrière le canapé. Peu après, deux filles sont venues s’asseoir sur ce même canapé. Ce sont deux filles pas belles du tout, les deux boudins du service en fait. Elles vont manger ensemble et elles lisent des bouquins sur le développement du langage chez l’enfant, tout ce genre de trucs.

Aussitôt elles se sont mis à commenter les nouvelles du jour, à savoir qu’une fille du service était venue au boulot avec une mini-jupe vachement mini, au ras des fesses.

Et qu’est-ce qu’elles en pensaient ? Elles trouvaient ça très bien. Leurs silhouettes se détachaient en ombres chinoises, bizarrement agrandies, sur le mur au-dessus de moi. Leurs voix me paraissaient venir de très haut, un peu comme le Saint-Esprit. En fait je n’allais pas bien du tout, c’est clair.

Pendant quinze minutes elles ont continué à aligner les platitudes. Et qu’elle avait bien le droit de s’habiller comme elle voulait, et que ça n’avait rien à voir avec le désir de séduire les mecs, et que c’était juste pour se sentir bien dans sa peau, pour se plaire à elle-même, etc. Les ultimes résidus, consternants, de la chute du féminisme. A un moment donné j’ai même prononcé ces mots à voix haute : « les ultimes résidus, consternants, de la chute du féminisme ». Mais elles ne m’ont pas entendu.

Moi aussi j’avais bien remarqué cette fille. Difficile de ne pas la voir. D’ailleurs, même le chef de service était en érection.

Je me suis endormi avant la fin de la discussion, mais j’ai fait un rêve pénible. Les deux boudins se tenaient bras dessus-bras dessous dans le couloir qui traverse le service, et elles levaient haut la jambe en chantant à tue-tête :

« Si je me promène cul nu.

C’est pas pour vous sédui-re !

Si je montre mes jambes poilues.

C’est pour me faire plaisi-re ! »

La fille à la mini-jupe était dans l’embrasure d’une porte, mais cette fois elle était vêtue d’une longue robe noire, mystérieuse et sobre. Elle les regardait en souriant. Sur ses épaules était perché un perroquet gigantesque, qui représentait le chef de service. De temps en temps elle lui caressait les plumes du ventre, d’une main négligente mais experte.

En me réveillant, je me suis rendu compte que j’avais vomi sur la moquette. La soirée touchait à sa fin. J’ai dissimulé les vomissures sous un tas de coussins, puis je me suis relevé pour essayer de rentrer chez moi. Alors, je me suis aperçu que j’avais perdu mes clefs de voiture.

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