Toutes voix confondues
Au seuil du troisième millénaire, des voix s'élèvent. De soldats, de victimes, de bourreaux. Certaines viennent de l'Antiquité, d'autres d'un passé récent. Elles n'ont ni tort, ni raison. Elles nous parlent depuis une forêt, une falaise, un désert... Accompagnés par des illustrations de Dominique Fajeau, ces poèmes ont plus à voir avec les questions du souffle et de l'accentuation qu'avec celles de la poésie syllabique. 128 p. (1998)
Extrait
SCHISTES
Grandes batailles du passé, on exhume aujourd’hui vos travaux
Et les musées gardent jusqu’au son de la gorge étranglée
Suite au triomphe. Mais des inutiles que l’Arven poussa
Hors des remparts, mais de nous, engagés par simple diversion
Quoi ? Rien ! D’autant que César, épargnant le vieil oppidum
Trois lunes plus tard, la pierre même copiait les vainqueurs
INVOCATIONS
( Des hauts plateaux )
Que le crotale dont la terrible impatience frappe à la vitesse de l’éclair Inspire nos gestes
Que son poison imprègne nos flèches, nos piques et même nos invectives Alors viendra
Mercure mental insaisissable, la Gloire ! La Gloire, quelles qu’en soient l’incarnation Et les péripéties
( Des plaines )
Parce que tu convoques la hyène aux vices d’embaumeur
Parce que tu libères le sang et brises l’intolérable échine de la tension
Parce que leur destin, c’est la loi, c’est la poigne du Jeune Mage
L’Oiseleur à la chasse distante qui sourit au miroir ovale du sexe
AU DÉTOUR
Nous avons pris et perdu et repris, maison par maison, les hameaux
Nettoyé les caves, les casemates ; jugé et passé par les armes
Et c’est ainsi que le doute a grandi :
Et si, dans les combats, nous en sueur, au corps à corps n’avions été que les doigts entrelacés d’une créature s’initiant comme aux ombres chinoises ?
L’OFFENSIVE
L’œil du lapin, dont la gueule est sur la table, encore chaude, encore douce
L’œil du lapin avec sa paupière mal fermée, l’iris tourné vers le rien
Voilà ce qui habite quand la mort vous brandit au-dessus des tranchées
Laissant griffer la lumière, une ultime fois, aux membres postérieurs
LA TOMBE
Ce n’est pas un trou, le résultat du hasard, de pelles et d’efforts, mais un moule
De quoi ? D’un objet échappé du futur, d’une forme usuelle dans l’avenir
Ce n’est pas un trou. Même la poussière tombée y acquiert de l’essentiel
LES ÉCLAIREURS
— Vois, il replie sa main devant une flamme, comme s’il voulait la protéger du vent
— De l’air quand il avance
— Sauf que ce n’est pas une flamme
— Qu’il n’avance pas
— Que la nuit seule est véritable
— Vois, ils sont dans la douceur du soir Ils ont un verre de vin entre eux
Ils parlent à mi-voix tandis qu’alentour leurs enfants brûlent un surcroît d’énergie
— Maintenant, le verre est vide Il se produit comme un déclic
La fille allongée dans les herbes fait en sorte que les mots la caressent
— Une à une s’éteignent les voix enfantines. Il ne reste que des rires
blancs comme du linge sur un fil
— Pendant que l’armée, derrière nous, se prépare