Violence(s)
Octobre 2021
Au début, elles étaient trois, une trinité niée, une trinité sans autre lien que la souffrance et le lieu de souffrance où elles se trouvaient rassemblées, l’hôpital. Elles n’ont pas de nom : elles en ont si peu pour les autres, comment en auraient-elles un pour elles-mêmes ? Mises bout à bout, les bribes de leur destin se sont constituées en un continent sinistré : paroles de femmes jamais dites, bruits intérieurs aux femmes quand elles se taisent, quand elles deviennent invisibles aux autres, quand elles attendent. Car elles passent leur vie à attendre : leurs hommes, leurs enfants, leur vie même. Attendre.
Et cette trinité, paradigme de la femme moderne, s’est étoffée : elle s’est trouvée des disciples, douze autres, celles niées, rabaissées, humiliées, frappées, violées, torturées, avant d’être tuées, juste parce qu’elles « sont femmes », celles dont on parle dans nos journaux et qu’on oublie mais dont le cri de mort retentit sans cesse tout au long de la journée des autres femmes. À travers ces paroles, ces cris interdits par toutes les conventions et les représentations de la femme qu’on diffuse au quotidien, elles témoignent de la violence qu’appelle partout cet «?état de femme?». Toutes, même celles dont on dit qu’elles « ont réussi », savent combien d’épreuves elles ont dû surmonter au nom du «?genre?» auquel elles appartiennent.
Ce roman qui les arrache à Twitter et Facebook les fait entrer dans la littérature pour ce qu’elles sont : des héroïnes du quotidien que sauvent leur courage et leur force de résilience, au bout du chemin.
Agrégée de lettres classiques et professeur de chaire supérieure, Paule Andrau a longtemps enseigné la littérature. Elle n’a pas écrit jusqu’ici : un travail passionnant, une famille, une maison, et peut-être aussi des barrières longues à tomber. Quand c’est venu, c’est venu par lambeaux, des bribes de destins sur les tickets de caisse des grandes surfaces. Elle a orchestré cette “partition” en imaginant ces histoires morcelées et inaudibles.